
Elle a le souci du détail, Donatella Pulitano (58 ans). Et pour cause : son métier consiste à expliquer le sens des termes techniques. La terminologue ne lâche rien tant qu’elle ne trouve pas une définition au poil. Et dans ses recherches, ce bon vieux téléphone a encore un rôle à jouer.
« À 7 heures, je suis dans le train qui m’amène de Baden à Berne. J’en profite pour lire le journal, me détendre un peu et penser au programme de la journée. Une fois arrivée à la Chancellerie d’État, je réponds d’abord aux courriels. Mon emploi du temps varie ensuite de jour en jour étant donné que je porte plusieurs casquettes.
Mon équipe se consacre à un travail de terminologie tout à fait classique. Nous consignons les divers termes pour une notion et nous définissons ces notions afin que tout le monde les comprenne de la même manière. Concrètement, nous alimentons notre base de données LINGUA-PC en y intégrant de nouveaux termes. Nous répondons aux questions de terminologie et nous donnons des conseils pour orthographier les termes. En plus de cela, nous avons beaucoup à faire avec les technologies langagières : nous veillons au bon fonctionnement des outils utilisés dans les services de traduction du canton.
Depuis août 2021, je dirige les Services linguistiques centraux en plus du Service central de terminologie. On m’a donc confié de nouvelles tâches de conduite. Je fais aussi partie de la commission de rédaction du Grand Conseil bernois et, au plan international, d’associations professionnelles comme le Rat für Deutschsprachige Terminologie, entre autres.
Ces différentes facettes de mon travail rendent mon quotidien très varié. Elles sont le sel de mon métier. Côté thématique, on saute souvent du coq à l’âne : en une journée, on peut passer de la disparition des abeilles aux subtilités de la terminologie des galets, en faisant un détour par la finance. Il y a toujours matière à apprendre, quel que soit le sujet. D’autant plus que nos recherches nous poussent à parler avec des gens d’horizons différents. Comme on ne trouve pas systématiquement les informations sur Internet, surtout dans des domaines très pointus, il faut parfois prendre le téléphone et aller à la source. Il m’est arrivé d’appeler un pisciculteur. Une autre fois, alors que le web n’existait pas, nous devions traduire le nom de plusieurs attractions pour le règlement d’une foire annuelle. J’ai dû contacter des forains pour trouver les bonnes solutions et j’ai eu droit à des discussions très drôles.
Au fil de mes années au service de l’administration cantonale, j’ai remarqué que les collègues comprenaient de mieux en mieux notre travail. Ils savent maintenant qu’il existe une base de données terminologique. Ils ont compris que notre but n’était pas de chercher la petite bête, mais de décrire des termes qui permettent réellement d’éviter les malentendus et d’assurer une communication uniforme. Pour citer un exemple, dans le domaine juridique, un recours n’est pas la même chose qu’une opposition ; cette distinction est importante pour la sécurité du droit.
Le jeudi, j’enseigne la terminologie et l’usage des outils d’aide à la traduction à l’Université de Genève, en plus de mon travail à la Chancellerie. Pendant les cours, les étudiants apprennent à manier ces outils, à alimenter les bases de données et à évaluer les logiciels. L’enseignement m’amène aussi à participer à des projets de recherche, à des groupes spécialisés et parfois même à intervenir en public. Le réseautage m’est utile aussi pour mon travail à Berne. Il m’inspire des idées et des pistes pour intégrer de nouvelles fonctionnalités dans les outils linguistiques.
Je n’irais pas jusqu’à dire que mon métier est aussi mon hobby, comme le pense mon compagnon, mais il est vrai que j’aime vraiment mon travail. Sinon je ne ferais pas la navette tous les jours entre Baden et Berne depuis 30 ans ! Durant mon temps libre, je chante dans une chorale et je prends des cours de chant, en plus d’aller au cinéma et d’assister à des spectacles de ballet.
La traduction automatique est LE sujet brûlant dans la profession. J’imagine que tout le monde a entendu parler de DeepL. Les nouvelles technologies suscitent toujours des craintes parce qu’elles changent l’image de la profession. Or, terminologie, traduction et technologie ont toujours été très liées. Le temps gagné grâce à la technologie peut être consacré à peaufiner le texte. Les outils sont avant tout des instruments, et ils le resteront. Mais il ne faut pas sous-estimer leur manque de précision car ils ignorent le lexique du parler cantonal. Pour donner des exemples, il arrive que DeepL traduise « Regierungsrat » par « conseil de gouvernement » (au lieu de Conseil-exécutif) et « Vizestaatsschreiber » par « vice-greffier » (au lieu de vice-chancelier). Il faut rester vigilant car nous traduisons des sujets politiquement sensibles, des interventions parlementaires et des rapports dans lesquels chaque mot doit être savamment pesé. Autant dire que nous ne sommes pas près d’être au chômage ! »
Propos recueillis par Fabian Kleemann