Logo Kanton Bern / Canton de BerneBEinfo - Le magazine du personnel de l’administration cantonale

Mise à l’abri d’une station palafittique dans le lac de Bienne

Le canton a sécurisé un site bernois inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO: depuis fin 2020, un brise-lames et un enrochement protègent la station palafittique de Sutz-Lattrigen, dans le lac de Bienne, vieille de 4750 ans.

Mais ce précieux trésor est en danger. Depuis que le niveau du lac a été abaissé lors de la première correction des eaux du Jura, il y un siècle et demi, la forte houle que provoque le vent d’ouest détruit lentement mais sûrement les vestiges de l’habitat lacustre. «Comme il est difficile d’empêcher le vent d’ouest de souffler à cet endroit, nous avons dû trouver une méthode pour protéger les couches archéologiques de l’érosion naturelle», explique Marianne Ramstein. C’est ainsi qu’à la fin des années 1990, des palissages ont été posées pour faire barrière aux vagues. Mais les espoirs ont été déçus: la palissade n’a pas résisté longtemps à la force de l’eau. Elle a donc été enlevée pour éviter qu’elle ne cause des dommages supplémentaires au site et les archéologues ont recommencé à se creuser les méninges. Et ils ont trouvé: une simulation de l’action des vagues réalisée dans le cadre d’échanges internationaux a permis à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de modéliser les mesures de protection possibles et de mettre au point une solution pour mieux protéger le site palafittique de l’érosion.

Des travaux de protection complexes

Dans un premier temps, un relevé des couches archéologiques à découvert sur le fond du lac a été établi durant l’été 2020 pour réaliser un modèle en trois dimensions documentant l’état du site avant les travaux. L’équipe de plongée du Service archéologique a ensuite récolté les objets situés en surface avant de déposer des nattes en fibre de coco sur toute la surface à protéger, isolant ainsi les couches archéologiques encore inexplorées. Ce dispositif permet de bien séparer l’ancien du nouveau, explique Marianne Ramstein: «Nous avons choisi à dessein une fibre non indigène mais naturelle. Nous voulions que les archéologues qui procéderont à des fouilles dans 20, 50 ou 100 ans ne prennent pas cette installation pour un élément du site néolithique.» Les nattes ont ensuite été recouvertes de galets pour ralentir voire commencer à briser les vagues avant qu’elles n’approchent de la rive. La taille des galets a été choisie afin qu’ils ne soient pas déplacés, ou seulement de manière négligeable, par des vagues même fortes. A l’automne 2020, un brise-lames formé de gros blocs de calcaire a été installé devant la rive pour protéger celle-ci de l’effet de sape des vagues et du courant, qui entraîne la chute des arbres en bordure du littoral.

Protéger au lieu de fouiller

Ces travaux de protection ont coûté un peu plus d’un million de francs, dont 350 000 francs sont pris en charge par la Confédération. Mais une fouille aurait coûté au moins dix fois plus, tempère Marianne Ramstein. En outre, ce site fait partie d’une série de 111 stations palafittiques situées dans l’arc alpin qui ont été placées sous la protection de l’UNESCO dans le but déclaré d’être préservées pour les générations futures. Son intégrité doit donc être conservée, ce qui exclut une fouille. Cela n’empêche pas les scientifiques d’avoir envie de découvrir ce qui peut encore se cacher autour de cette zone. La directrice adjointe de la section Archéologie préhistorique et subaquatique rappelle que le Service archéologique du canton de Berne a pour mission non pas de procéder à des fouilles aussi étendues que possible, mais de documenter les vestiges avant leur destruction. «Et si nous pouvons empêcher la destruction des sites, c’est toujours leur protection qui passe avant», précise-t-elle. Sans compter que la recherche fait des progrès fulgurants: «Lorsque nous mettons au jour des vestiges actuellement, nous pouvons faire beaucoup plus d’analyses et obtenir de bien meilleurs résultats qu’il y a dix ans. Comme ces progrès ne s’arrêteront pas, les outils à disposition seront encore meilleurs dans dix ans!», s’enthousiasme Marianne Ramstein. D’où l’importance de protéger les sites archéologiques pour pouvoir les étudier plus tard, avec des méthodes de recherche qui nous en révèleront bien davantage sur ces trésors du passé.

Une partie du voile est levée

On a néanmoins aujourd’hui déjà une idée assez précise de la configuration du village néolithique. Des études ont été entreprises en bordure des constructions palafittiques, soit sur environ 20% de la surface occupée. Elles permettent d’extrapoler la taille effective du village, explique Marianne Ramstein.
Cela fait vingt ans que l’équipe de plongée explore le site après les épisodes de vent fort et recueille les objets dégagés par la houle. «Nous avons fait de belles découvertes, par exemple une chaussure en raphia. Nous avons aussi trouvé très régulièrement des ustensiles en bois de cerf et en os, des haches en pierre et de la céramique. Mais le but est de laisser un maximum d’objets enfouis et de les protéger.» Grâce à la dendrochronologie, on connaît les différentes phases d’occupation du site. Après les mesures de protection qui viennent d’être mises en place, il va falloir s’armer de patience avant de pouvoir procéder à une étude exhaustive de la station lacustre.

Un patrimoine mondial qui n’attire pas tant de touristes

Le site archéologique reste donc à l’abri sous une couche de pierres et de fibre de coco, au profit des futures générations. Pour l’homme de la rue, cela ne change pas grand-chose, relève Marianne Ramstein: «Il s’agit d’une station sous-lacustre et les visiteurs n’en voient pas grand-chose.» Le site de Sutz-Lattrigen est d’ailleurs très peu connu, bien qu’il soit inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Contrairement à des monuments prestigieux comme les pyramides égyptiennes ou le Taj Mahal, il n’attire pas les foules. «Il n’y aura jamais de cars qui s’agglutinent à Sutz pour déverser des visiteurs, et tant mieux!» Car plus un site est fréquenté, plus il est en danger.

Lukas Reinhardt

Partager